Lutte contre le piratage sportif : la responsabilité des intermédiaires techniques au coeur des mesures de blocage

Lutte contre le piratage sportif : la responsabilité des intermédiaires techniques au coeur des mesures de blocage

Ce qu’il faut retenir

Le piratage des retransmissions sportives constitue un risque économique majeur pour le secteur du sport professionnel. Plusieurs décisions ont été rendues par le tribunal judiciaire de Paris en juin et juillet 2025, étendant les mesures de blocage à l’ensemble des intermédiaires techniques, considérés comme des contributeurs au piratage.


Le piratage des retransmissions sportives constitue un risque économique systémique pour l’ensemble du secteur du sport professionnel. Ce piratage de masse a pour conséquence de fragiliser le financement de la pratique sportive professionnelle et amateure en France. 

Plusieurs décisions ont été rendues par le tribunal judiciaire de Paris en juin et juillet 2025, étendant les mesures de blocage à l’ensemble des intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès à internet (FAI), fournisseurs de noms de domaine alternatifs (DNS), fournisseurs de services de réseaux privés virtuels (VPN), considérés comme des contributeurs au piratage d’événements sportifs.

Après un rappel de la problématique du piratage sportif, le présent article analyse le cadre juridique et les décisions récentes en matière de lutte contre le piratage des retransmissions de compétitions sportives.


1. La problématique du piratage d’événements sportifs

Le piratage des compétitions sportives se caractérise par la captation de la valeur économique de la diffusion en direct. Le préjudice subi par les titulaires de droits est immédiat et irréversible, puisqu’une fois l’événement sportif regardé via un canal illicite, la valeur économique pour l’offre légale a disparu, même si des mesures judiciaires sont prononcées ultérieurement.

Il est donc impératif de pouvoir agir sans attendre en prenant des mesures judiciaires rapides et préventives de blocage de sites et services illicites.

Selon l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), la consommation illicite de contenus audiovisuels et sportifs a généré en 2023 un manque à gagner de 1,5 milliard d’euros pour les acteurs du marché audiovisuel français. Le préjudice subi par le secteur sportif s’élèverait à 290 millions d’euros par an. (1)

Le phénomène est en croissance. Ainsi, 18 % des Français regarderaient des compétitions sportives illégalement, ce taux atteignant dans le football, 37 % des spectateurs de Ligue 1. L’argument avancé par les spectateurs est le montant trop élevé des abonnements aux chaînes de sport (autour de 15€ par mois pour BeIN Sports ou la nouvelle chaîne Ligue 1+), sachant que cet argument ne peut évidemment justifier le piratage. (2)

Trois catégories de services structurent le piratage sportif:

    - Les sites de streaming en direct (“live streaming”) qui diffusent illégalement des matchs en proposant une multiplication de noms de domaine miroirs, fournis par des opérateurs de noms de domaine alternatifs (DNS) pour contourner les blocages judiciaires, nécessitant des mesures de mise à jour régulières par l’Arcom ; 

    - Les services de télévision sur IP (IPTV) pirates, dont l’utilisation est en forte progression. Ces boîtiers ou abonnements pirates proposent des offres “tout compris” réunissant des chaînes payantes à un coût dérisoire, en concurrence avec les plateformes légales. Selon l’Arcom, plus de 5.000 services IPTV (non limité au sport) ont été bloqués depuis début 2025 ; (3)

    - Les réseaux privés virtuels, ou services VPN, qui permettent notamment de contourner les géoblocages en masquant l’adresse IP du terminal de l’utilisateur et d’accéder à des contenus illicites diffusés depuis l’étranger.

Ces services (streaming, IPTV, VPN) ne font que refléter l’évolution technologique des solutions qui permettent de contourner les offres légales. En conséquence, la lutte contre l’accès illégal aux contenus sportifs ne peut plus se restreindre aux hébergeurs ou éditeurs de contenus. Elle doit cibler l’ensemble des services de diffusion, et particulièrement les intermédiaires techniques situés en amont. 


2. Le dispositif réglementaire de lutte contre le piratage sportif

Pour faire face à la lutte contre le piratage, l’arsenal juridique a évolué en permettant d’agir sur les aspects techniques pour bloquer les services illicites dans des délais raccourcis, et ainsi limiter le préjudice économique.

Le dispositif réglementaire repose sur l’article L.333-10 du code du sport, complété par la LCEN et le droit de la propriété intellectuelle, l’Arcom étant l’autorité en charge de l’application opérationnelle des mesures prononcées par les tribunaux.

    2.1 L’article L.333-10 du code du sport : l’outil de sécurisation des droits

L’article L.333-10 du code du sport constitue le socle réglementaire des décisions judiciaires récentes.

Ce texte est réservé aux compétitions sportives, en raison de l’urgence inhérente à la retransmission des compétitions en direct.

Les titulaires du droit d’exploitation audiovisuelle (fédérations sportives, organisateurs, diffuseurs et ligues sportives) peuvent saisir le juge “en cas d’atteintes graves et répétées à leurs droits par toute personne susceptible de contribuer à remédier à l’atteinte”. Les personnes visées sont non seulement les hébergeurs et les éditeurs de contenus, mais également les intermédiaires techniques permettant la diffusion.

L’article L.333-10 offre la possibilité d’intervenir de manière préventive et dynamique contre la diffusion illicite, en permettant au juge de prononcer des mesures de blocage ex ante, dès la première journée d’un championnat par exemple. La décision peut inclure l’extension automatique du blocage aux sites futurs détectés, sur notification de l’Arcom.

Les mesures de blocage doivent toutefois rester proportionnées et être limitées à la durée de la compétition (quelques heures à plusieurs mois).

    2.2 Les fondements subsidiaires : LCEN et CPI

La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ainsi que le code de la propriété intellectuelle contiennent également des dispositions permettant au juge judiciaire de prononcer des mesures de blocage, non spécifiques au domaine de sport. (4)

    2.3 Le rôle opérationnel de l’Arcom

En matière de lutte contre le piratage sportif, l’Arcom agit comme le bras armé de l’exécution des ordonnances judiciaires.

L’Arcom a notamment pour mission i) de vérifier et de constater le caractère illicite des services visés, ii) de notifier aux intermédiaires le ou les blocage(s) à mettre en œuvre et, iii) d’assurer le suivi et l’actualisation des listes des sites pirates devant être bloqués pendant la durée de la compétition.

L’Autorité a par ailleurs organisé des campagnes de communication pour sensibiliser le public sur les conséquence économiques du piratage, telle que la campagne “Protège ton sport”, diffusée en juin 2024.


3. La réponse judiciaire en matière de lutte contre le piratage des retransmissions sportives

Quatre décisions de blocage ont été rendues à quelques jours d’intervalle en juin et juillet 2025 par le Tribunal judiciaire de Paris. Ces jugements élargissent le périmètre des acteurs soumis aux mesures de blocage, en bloquant la diffusion illégale des compétitions sportives en amont, par l’implication des intermédiaires techniques : fournisseurs d’accès à Internet (FAI), opérateurs DNS alternatifs et fournisseurs de services VPN. (5)

Ces affaires concernent le championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2, le championnat MotoGP et le tournoi de tennis féminin WTA.

    3.1 Le titulaire des droits d’exploitation de diffusion d’événements sportifs a qualité à agir

La première question concernait la qualité à agir des demandeurs. En application de l’article L.333-10 du code du sport, les juges ont confirmé que les actions en demande de blocage pouvaient être intentées non seulement par les ligues sportives professionnelles qui commercialisent des droits d’exploitation audiovisuelle de compétitions, mais aussi par les entreprises de communication audiovisuelle, en tant que titulaires de droits exclusifs d’exploitation de diffusion des manifestations ou compétitions sportives. 

Ainsi, la qualité à agir de la Ligue de football professionnelle (LFP) et LFP Media a été confirmée. de même que pour les titulaires des droits d’exploitation acquis par contrats, tels que la SECP ou BeIn Sports France, sociétés exploitant des chaînes de télévision spécialisées dans la programmation sportive. 

L’exclusivité de l’exploitation peut porter sur l’intégralité ou sur une seule partie d’une compétition, dès lors que l’atteinte au droit d’exploitation audiovisuelle est grave et répétée.

    3.2 Les mesures de blocages ne sont plus limités aux sites de streaming illégaux et aux hébergeurs

Afin de renforcer l’efficacité des mesures de lutte contre la diffusion illicite de programmes sportifs, le blocage peut être prononcé contre “toute personne susceptible de contribuer à y remédier”. Cette disposition de l’article L.333-10 permet d’étendre les mesures de blocage aux intermédiaires techniques, FAI, services de VPN et de DNS, intervenant en amont de la diffusion des contenus illicites.

Dans les affaires opposant la SECP, ou BeIN Sports France, à plusieurs fournisseurs de VPN, le juge a confirmé que les services de VPN sont des intermédiaires techniques, susceptibles de contribuer à faire cesser l’atteinte, en raison de leur rôle dans le contournement des mesures de géoblocage et la dissimulation d’adresses IP.

Dans l’affaire opposant BeIN Sports France à plusieurs fournisseurs de VPN, les juges considèrent qu’ordonner des mesures de blocage aux services de VPN n’est pas contraire au droit européen, notamment à la directive e-commerce, car ces mesures ne sont ni abstraites, ni générales. En effet, les mesures ordonnées sur le fondement de l’article L.333-10 visent une compétition sportive précise (en l’espèce, le tournoi WTA), une durée d’exécution limitée (la durée du tournoi), un territoire limité (France métropolitaine et départements et territoires d’outre-mer) et un nombre restreint de noms de domaine.

    3.3 Le blocage peut être prononcé pour la durée d’une compétition ou d’un championnat


Le blocage n’est plus ponctuel. Il peut être prononcé pour bloquer les sites de streaming illégal identifiés, dans un délai de trois jours à compter de la signification de la décision judiciaire, et pour toute la durée de la compétition ou du championnat, que les compétitions ou les matchs soient organisés en France ou à l’étranger. La mesure de blocage ne peut toutefois excéder une durée de douze mois.

Ainsi, dans l’affaire concernant le FIM World Championship (“MotoGP”), le blocage s’étend du 28 février au 16 novembre 2025.

Pour protéger les droits sur la saison 2025-2026 des championnats de France de Ligue 1 et Ligue 2 de football, le blocage est ordonné du 8 août 2025 au 24 mai 2026.

Le blocage des retransmissions illicites du tournoi de tennis féminin WTA est ordonné pour toute la durée de la saison 2025, qui se déroule du 23 décembre 2024 au 10 novembre 2025.

    3.4 La décision de blocage ne se limite pas aux sites identifiés à la date du jugement


Dans la mesure où de nouveaux sites illicites apparaissent à tout moment, et pour s’assurer que le blocage soit efficace dans le temps, celui-ci doit être dynamique. L’article L.333-10 II dispose en effet, que le blocage peut être ordonné pour bloquer tout service de communication au public en ligne identifié ou qui n’a pas été identifié à la date de l’ordonnance, diffusant illicitement la compétition ou manifestation sportive.

Compte tenu du risque de dissémination rapide des noms de domaine pirates, les titulaires de droits d’exploitation peuvent signaler à l’Arcom tout nouveau service illicite afin d’étendre automatiquement la mesure de blocage jusqu’à la fin de la période de blocage (dernier match ou date de fin du tournoi).


    Les décisions rendues par le Tribunal judiciaire de Paris en juin et juillet 2025 illustrent une application cohérente de l’article L.333-10 du code du sport, dont l’objectif est de protéger la filière légale en permettant aux ayants droit i) de réagir plus rapidement par une intervention préventive, actionnable en trois jours, ii) en ordonnant le blocage des sites illicites et services permettant d’avoir accès à ces sites, de manière dynamique (liste des sites internet et des services bloqués actualisable par l’Arcom), et iii) en élargissant la cible des intermédiaires techniques aux services de VNP et de DNS notamment.

La problématique du piratage des retransmissions sportives n’est évidemment pas un phénomène limité à la France. En 2021, l’Observatoire européen de l’audiovisuel a publié un rapport sur les textes applicables dans les différents Etats membres de l’UE et au Royaume-Uni pour lutter contre le piratage sportif. (6) L’objectif de ce rapport était d’identifier les pays dans lesquels une réglementation spécifique à la lutte contre le piratage sportif existait, sachant que plusieurs pays européens ne disposaient toujours pas d’une réglementation adaptée. 

Outre l’identification des nouveaux outils permettant notamment de contourner le géoblocage, l’un des défis concerne la coopération transfrontalière face aux plateformes pirates hébergées dans les pays ne disposant pas d’une réglementation adaptée, dans l’Union européenne, mais surtout hors UE.  

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(1) Bilan 2024 de l'Arcom sur la lutte contre le piratage, novembre 2024

(2) “Streaming illégal : le secteur sportif perd 290 millions d’euros par an”, FranceInfo Sport, 28 novembre 2024 ; “Piratage : près d'un Français sur cinq regarde des compétitions sportives de manière illégale”, FranceInfo Sport, 14 mai 2025

(3) “IPTV illégale : 5.000 sites ont été bloqués depuis janvier 2025, s’est félicité le président de l’Arcom”, 01 Net, 1er octobre 2025

(4) Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, modifiée (LCEN), art. 6-3 et s. ; art. L.336-2 Code de la propriété intellectuelle 

(5) TJ Paris, 3é ch., 19 juin 2025, n°25/01464, SECP c. Proton AG, NordVPN AG, Surfshark Ltd et autres ; TJ Paris, 3é ch., 10 juillet 2025, n°25/07645, LFP et LFP Media c. Canal+ Telecom, Free, Orange et autres ; TJ Paris, 3é ch., 17 juillet 2025, LFP et LFP Media ; TJ Paris, 3é ch., 18 juillet 2025, n°25/05968, BeIn Sports France c. Proton AG, Cyberghost SRL et NordVPN SA

(6) “Mapping report on national remedies against online piracy of sports contents”, European Audiovisual Observatory, décembre 2021


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Novembre 2025